Histoires

Réconciliation dans les soins reliés à l’arthrite : Répondre à l’appel à l’action

Réconciliation dans les soins reliés à l’arthrite : Répondre à l’appel à l’action

Par Cheryl Barnabe, rhumatologue et membre de la Métis Nation of Alberta

Il y a eu des moments (avant la COVID) où je déambulais dans une salle de concert ou un restaurant et où je commençais à compter – en estimant combien de personnes étaient atteintes d’arthrite, en observant les signes révélateurs de difficultés à bouger ou de déformations articulaires. Quand je compare ce décompte et mes observations lors d’un rassemblement ou d’un évènement autochtone auquel je suis invitée à assister, je peux facilement doubler mes estimations et je constate que la plupart des personnes concernées, jeunes et moins jeunes, ont souffert de cette maladie destructrice. L’arthrite touche les autochtones de manière disproportionnée et les soins doivent aller au-delà du simple choix du prochain médicament à essayer ou de l’aiguillage suivant. Comprendre les raisons de ces disparités, changer la façon dont nous soutenons et fournissons les soins reliés à l’arthrite et accueillir les approches culturelles dans le parcours de l’arthrite sont autant de moyens d’atteindre le bien-être malgré l’arthrite.

Quelles sont les réalités?

Les déterminants de la santé sont les éléments de base de la santé et du bien-être, et comprennent des facteurs personnels, sociaux, environnementaux et économiques. La colonisation, c’est-à-dire les lois et les politiques des gouvernements et des institutions canadiennes lors de la fondation du pays, a eu une incidence universelle sur ces déterminants pour les peuples autochtones. Parmi les exemples de l’incidence de la colonisation sur le risque d’arthrite chez les patients autochtones, on peut citer la législation (la Loi sur les Indiens) qui a presque fait disparaître les pratiques culturelles favorables à la santé, et les limitations des possibilités d’emploi qui peuvent conduire à un travail augmentant le risque de blessure entraînant l’arthrite ou à des expositions environnementales déclenchant l’auto-immunité.

La colonisation a également eu une incidence sur la gestion de l’arthrite. Les systèmes de santé occidentaux ont été imposés, ils ne répondent pas aux attentes et aux besoins des patients et ils ne les mettent pas à l’abri du racisme et des stéréotypes, si bien qu’ils sont évités. Les patients atteints d’arthrite savent à quel point un réseau de soutien autour d’eux est important; pour les patients autochtones, les réseaux de soutien de la famille et des amis sont perturbés par l’héritage des pensionnats, y compris la « rafle des années 60 » et la violence contre les femmes et les filles.

Un autre effet de la colonisation a également créé un terrain de jeu inégal entre les groupements de population des Premières Nations, des Métis et des Inuits. Les membres des Premières Nations ayant un statut (inscrits comme membres d’une bande auprès du gouvernement fédéral) et les Inuits ont accès aux médicaments et à un nombre limité d’appareils fonctionnels par le biais du programme fédéral de services de santé non assurés. Ce programme n’est pas proposé aux membres des Premières Nations non inscrits ni aux Métis, bien que l’arthrite soit tout aussi grave. Les autochtones vivant en milieu urbain, loin de leur communauté ou ayant déménagé pour trouver de nouvelles opportunités pour leur famille, sont souvent déconnectés des soutiens sociaux et économiques de la communauté. Il s’agit là de dures réalités, auxquelles les autochtones du Canada se heurtent quotidiennement, que nous devons reconnaître et chercher à comprendre, pour ultimement prendre des mesures visant à promouvoir le changement.

Comment les prestataires de soins en rhumatologie peuvent-ils favoriser l’équité pour les patients autochtones?

Il existe une différence importante entre l’égalité et l’équité. Il n’est pas réaliste d’attendre les mêmes résultats en offrant les mêmes services de rhumatologie à une population qui ne présente pas les mêmes risques d’arthrite ou les mêmes obstacles à la prise en charge. Nous devons viser l’équité, c’est-à-dire compenser les différences de base, dans de nombreux aspects de l’accès aux soins et de la qualité des soins.

Les difficultés d’accès aux soins ne sont pas seulement liées à l’éloignement des services de soins pour l’arthrite. Les modèles de soins primaires pour les autochtones sont fragmentés et ne disposent pas de ressources suffisantes, ce qui rend difficile pour les personnes présentant des symptômes de franchir la première étape, soit celle de la reconnaissance de l’arthrite et de l’orientation vers les prestataires de soins appropriés. Devoir passer une série de tests avant de pouvoir fixer un rendez-vous avec un prestataire crée un obstacle pour les personnes vivant dans des communautés n’ayant pas accès à des radiographies ou des laboratoires. Exiger de fréquentes réévaluations en personne peut être difficile pour les personnes qui n’ont pas de moyen de transport ou qui ne peuvent pas s’absenter de leur travail ou rater des cours. La pauvreté fait qu’il n’est pas possible d’avoir un accès constant à un téléphone ou à Internet, ou que l’accès au courrier est discontinu, de sorte qu’un rendez-vous peut être manqué simplement parce que les patients ne savaient pas qu’ils avaient un rendez-vous. Il arrive aussi qu’un rendez-vous ne puisse pas être respecté parce qu’il est plus urgent de s’occuper d’un enfant ou d’un aîné, ou de soutenir la communauté et la famille à la suite d’une perte récente. Les prestataires de soins rhumatologiques doivent proposer leurs services de manières différentes afin d’être plus accessibles, flexibles et compréhensifs par rapport à ce qui se passe dans la vie des patients autochtones. Cela peut se faire en collaborant avec les équipes de soins de santé locales, en offrant des options de soins virtuels à des fins de triage ou de rendez-vous de suivi, en éliminant les frais de rendez-vous manqués et les frais de cabinet, et en proposant des cliniques de proximité sans rendez-vous.

Il est essentiel de fournir une interaction de qualité en matière de soins pour instaurer la confiance auprès des patients autochtones et de leur communauté. Les actes de racisme dans les soins de santé ne peuvent plus être ignorés. Le racisme se traduit par la négligence des patients, le maintien de stéréotypes et d’hypothèses, l’agression interpersonnelle directe et les mauvais traitements. Il se manifeste également à travers les structures de soins de santé qui délimitent qui obtient quel service, comment il est fourni et la qualité de ce service en fonction de l’identité autochtone. Les prestataires de soins rhumatologiques sont généralement favorables aux approches culturelles visant à favoriser la santé et le bien-être, mais ils hésitent quant à leur rôle dans la gestion de l’activité de la maladie. En quoi cela peut-il être différent? Une première étape importante consiste à s’informer sur l’histoire de la colonisation au Canada et sur les pertes profondément troublantes et douloureuses subies par la population autochtone. Dans le cadre des soins rhumatologiques, il est prioritaire de créer un lien avec le patient avant de passer à la raison de sa visite. Apprenez d’abord à le connaître, partagez une partie de votre identité et soyez respectueux afin d’établir la confiance. Accordez le temps nécessaire à la compréhension de la réalité du patient, à la prise de décision et au suivi des engagements que vous prenez dans le cadre de l’interaction de soins. Faites de cette norme une attente envers votre personnel de bureau, de vos collègues et de vos stagiaires.

Quel rôle jouent les approches autochtones de la médecine et du bien-être dans le traitement de l’arthrite au sein des collectivités autochtones?

Le traitement de l’arthrite chez les patients autochtones ne se limite pas aux médicaments ou aux modalités physiques, ni à une approche individuelle. La santé globale – émotionnelle, spirituelle, mentale, tant pour la famille que pour la communauté – est une approche dans la gestion de l’arthrite. Le lien avec la terre et la collectivité, la participation à des activités et à des cérémonies traditionnelles, l’offre et l’apport de soutien par les pairs, la rencontre avec les aînés et l’utilisation de thérapies traditionnelles complètent et bonifient l’approche globale pour améliorer les symptômes de l’arthrite.

Au sujet de l’œuvre d’art :

12 po x 12 po, Titre : bimaadiziwin ©Art d’Annette Sullivan; maaskowishiiw fleur (2021)

Annette Sullivan, artiste

(maaskowishiiw fleur)

Annette Sullivan est une artiste professionnelle autochtone aux héritages Métis et des Premières Nations. Ses œuvres d’art colorées dépeignent les histoires de ses ancêtres.

Sa famille fait partie de la communauté métisse historique Mushrat de la rivière Sainte-Claire. « Muskrat » décrit le nom de la tribu, le langage et le peuple, dont les ancêtres explorateurs canadiens-français ont pratiqué le commerce de la fourrure le long des voies navigables et des affluents des Grands Lacs. Ces hommes ont épousé des femmes autochtones et les unions ont engendré une culture unique en son genre connue sous le nom de culture métis. Elle possède son propre style de musique, d’art, de danse, d’habillement, de nourriture et de spiritualité.